Apprentissage

Dans ce début des années 60, alors que je n’étais pas encore scolarisée, je débutai mon apprentissage de décodage de l’état intérieur des personnes m’entourant. Il m’était particulièrement difficile et émotionnant de vivre les crises d’épilepsie de notre maman. Cela me faisait peur, m’impressionnait énormément et surtout je ne comprenais rien à comment « ça » fonctionnait! Je garde deux situations bien précises en mémoire de ces expériences. La première, nous étions, les trois derniers enfants, assis sur la table de la cuisine, les jambes pendantes, demandant à notre maman de nous couper une tranche de pain. C’était un jour particulièrement difficile pour maman, je la scrutais…. tentant de « décoder » son état…. quand soudain, le couteau à la main, elle eut une crise. Mon frère sauta de la table pour lui retirer le couteau des mains, ma soeur et moi, figées, ne sachant plus que faire, nous nous sommes mises à pleurer, nous étions bien trop petits pour gérer cette situation; papa n’était pas là…., les grandes pas encore de retour de l’école…. Je crois que nous avons tout simplement attendu qu’elle « reprenne ses esprits » … L’autre situation qui m’a profondément marquée, c’est passée alors que j’avais peut-être  6-7 ans. J’étais seule à la maison avec maman, elle mettait les lits à la fenêtre, et alors qu’elle secouait le duvet, la crise s’est déclenchée…. j’ai cru qu’elle allait tomber par la fenêtre, je me suis précipitée, du haut de mes 6-7 ans, pour l’attraper par la taille espérant que je serais assez forte pour la retenir ! J’avais les jambes en coton, je n’ai jamais eu plus grande peur de ma vie ! A partir de là, l’apprentissage de cette faculté d’observation et de mise à l’écoute intérieure des moindres mouvements précurseurs de « mal être » de maman surtout, et de tous les membres de notre famille, ou du milieu dans lequel j’évoluais, est devenu impératif. J’avais l’impression que ma survie en dépendait.
Il fallait que je sente l’état de maman dès son réveil. A peine ouvrait-elle la porte de leur chambre, que je me réveillais, tous les sens en alerte, pour écouter sa démarche, sa respiration, sa manière de fermer la porte, tout était passé au « scanner de mon coeur ». Quand elle ouvrait la porte de notre chambre, j’avais alors le final d’informations, je la respirais et avais une vision claire de son état.
Alors que je parfaisais mon apprentissage, mes soeurs ainées débutaient le leur dans la vie professionnelle. Il n’était pas courant qu’une fille, à l’époque, suive une formation alors qu’il y avait encore tant d’enfants derrière. Nos parents n’avaient que faire des dires des gens: « Comment?… donner un métier à vos filles? »
Oui, nos parents tenaient à ce que leurs enfants puissent se débrouiller dans la vie quoi qu’il arrive! Papa ne voulait pas voir une de ces filles dans une situation aussi difficile que celle de sa propre mère si un jour elle devait se retrouver seule!
Quelle sagesse ces parents !

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