La patience de papa

Je crois que c’est en 1965 que papa a changé de fonction au sein de l’entreprise dans laquelle il travaillait. Il devint chauffeur de bus sur une ligne attitrée. Il avait désormais des horaires fixes, avait du temps le matin pour revenir à la maison et un moment l’après-midi. Ces temps libres lui permettaient de jardiner, de pêcher, de bricoler.
La pêche était devenue une passion même si ce fût d’abord une nécessité. Alors qu’il était encore à faire des extras les week-ends comme chauffeur de bus, il avait utilisé le temps libre pour apprendre à pêcher. Cela faisait un apport bienvenu de nourriture pour notre grande famille. Il a mis dix ans a devenir un pêcheur averti! Il fabriquait ses mouches avec une minutie incroyable! C’était à s’y méprendre! Il y avait les mouches pour les temps d’orages, pour les journées très ensoleillées, pour le petit matin ou celles de début de crépuscule. Il avait ses boîtes d’asticots sur un rebord de fenêtre et en tant qu’enfants nous étions intrigués par ces boîtes. J’aimais, quand il nettoyait les poissons, être en sa compagnie. Je trouvais les ombres tellement belles avec leurs reflets verts sur les écailles, et les truites avec tous ces arcs-en-ciel sur le dos. J’étais fascinée par la beauté des poissons. Je trouvais bien dommage de les dépouiller de leurs si belles parures! Papa, avec patience, me faisait comprendre que pour pouvoir les manger, il n’y avait pas d’autre choix que de leur enlever les écailles! c’était comme pour les poulets, auxquels on devait retirer les plumes ou comme aux lapins à qui on retirait la peau! Il faut dire que notre papa était un homme « extra-ordinaire »! Oui, il achetait des poussins de quelques jours, les mettait sous lampes infra-rouge quelques jours et les élevait pour que nous ayons au moins de la viande une fois par semaine! Il avait aussi des lapins… qu’il nourrissait avec amour… et apprêtait aussi avec amour. Il avait une recette de lapin lardé…. qui fait encore parler d’elle aujourd’hui!
La patience de papa était exemplaire! nous ne l’avons jamais vu agité, s’éparpiller en tout sens ou commencer trente-six choses et n’en finir aucune. Il mesurait, évaluait les situations, quelles qu’elles soient. Il agissait avec patience, précision, calme et accomplissait de la sorte une foultitude de choses en bien peu de temps. Il ne gaspillait ni les gestes, ni l’énergie, ni la matière, ni le temps… ni même les mots! Je ne me souviens pas de l’avoir entendu être grossier, jurer ou crier!
Il savait tout faire, il trouvait une solution pour tout. Il rendait service partout où il pouvait! Ce qu’il nous a permis de vivre grâce à sa simplicité, est d’une richesse inouïe! Ce qu’ils ont semé avec maman dans nos coeurs, comme valeurs morales, n’a pas de prix! Il ne gagnait pas une fortune papa, et pourtant nous n’avons manqué de rien! Nous ne sommes jamais partis en vacances en famille, et pourtant nous n’en n’avons pas souffert! Nous avons vécu une vie riche en simplicité, en authenticité, en vérité. Nous avons appris, j’en suis certaine, les fondements de la vie… en famille!

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