Dernière visite

Suite à une chute, papa avait dû se faire réopérer de la hanche. Cela devait être le vendredi Saint sauf erreur. Nous nous demandions toutes comment il allait réagir suite à cette opération et comment se déroulerait la rééducation… Nous nous interrogions… alors que lui prenait, comme il en avait l’habitude, les événements comme ils arrivaient ! Il avait une longue expérience de la vie, oui ! à 92 ans il avait eu le temps d’expérimenter et nous avait, plus d’une fois, démontré sa grande sagesse ! Comment pouvions-nous nous soucier de ses capacités à faire face à sa réalité ? Papa était un grand homme !
Ainsi donc, le jour de Pâques, lorsque nous lui avons rendu visite, la dernière semaine de sa vie était commencée, nous ne le savions pas encore, bien que nous le pressentions ! Il ne pouvait pratiquement plus parler, il était encore sous l’effet des médicaments post-opératoire, il dormait lorsque nous sommes arrivés… A son réveil, il était calme, souriant en nous voyant. Il nous accueillit comme à son habitude, cherchant au fond de nos regards un endroit pour nous rejoindre et nous faire savoir… ce qu’il ne pouvait plus nous dire avec les mots. Il nous montrait, loin devant lui… Il essayait de tendre ses bras… et ne pouvait pas articuler plus que « j’arrive pas ». Il se reposait alors, calme, son regard franc et doux posé sur nous. Il me tenait la main et la serrait comme pour me dire: « ça ira« . Ce jour là, il m’a embrassé une bonne dizaine de fois ! Jamais encore il ne m’avait tenu la main de cette façon, jamais encore il ne m’avait donné autant de becs.
Il fermait les yeux quelques minutes et cherchait à nouveau à me faire comprendre que « c’est à-bas que je dois aller « . Nous avons partagé un temps béni ! Joël s’était retiré quelques minutes, nous laissant seuls tous les deux. Papa le chercha du regard et me fit comprendre qu’il aimerait le voir. Quand il revint, il lui prit la main, comme il avait prit la mienne, et le regarda intensément. Ils partagèrent quelques chocolats, et quelque chose d’indicible… Nous restâmes encore un temps, puis le quittâmes, le coeur tranquille. Nous avions décidé de revenir vendredi… Ce fut notre dernière visite !
Durant cette semaine, sans que nous nous soyons concertées, chacune de nous alla lui rendre visite un jour. Il prit congé de chacune… Lorsque la cinquième le quitta, le jeudi soir, papa se retira gentiment… et lorsque Aurélie vint lui dire « bonne nuit » elle sut qu’il ne serait plus là le lendemain et qu’elle ne le reverrait plus… ni nous d’ailleurs. Elle sortit de la chambre, triste… disant aux infirmière : »il s’en va… » Ce fut pour elle aussi la dernière visite !
Il nous quitta le vendredi matin à 4 h 30, sans bruit, comme il avait vécut, soucieux de ne pas déranger…
Papa était un très grand homme et en nous quittant il nous fit don, à chacune, d’une richesse inestimable : LA GRANDEUR DE SON AMOUR !
Que soient bénis le jour où il naquit, le jour où il rencontra notre maman, le jour de la naissance de chacun de leurs enfants, le jour de la mort de maman et le jour de sa mort !

« Certes, nous sommes à Dieu et c’est à Dieu que nous retournerons » (Coran: II,156)

« Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » (Genèse: 3,19)

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Les bras grands ouverts

Notre papa n’était pas homme démonstratif et expansif de ses sentiments. En tous les cas pas durant notre enfance. Pourtant il savait nous faire savoir par des gestes simples ou un regard combien il éprouvait d’amour pour chacun de nous. Après la mort de maman, il nous a montré d’autres facettes de lui, partagé ses émotions, dit plus de ses sentiments. Et lorsqu’il était au home, il était naturellement spontané et savait si bien nous démontrer son amour, son affection et sa tendresse. En voici un exemple et un souvenir particulier qui m’a beaucoup émue et nourrie. Un jour où nous étions allés lui faire une visite impromptue alors que nous arrivions le long du couloir menant à sa chambre, (lui, en sortant justement.. ) nous nous sommes trouvés à mi-chemin. Dès qu’il nous a vus, il s’est arrêté, affichant son sourire radieux, les yeux brillants de mille étincelles. Appuyant sa canne contre sa jambe, les bras grands ouverts pour nous y accueillir, il attendait, comme seul un parent peut le faire pour son enfant… que nous venions nous blottir et nous laisser embrasser. Peu importait que j’aie 54 ans, j’étais accueillie, comme un cadeau du ciel, par ce papa aimant. Quelle ne fut pas l’émotion de joie et de bonheur ressentie à cet instant ! Je me retrouvais, comme un petit enfant, courant avec ravissement dans les bras grands ouverts de son père, simplement, pour le bonheur de chacun. Débordement de joie, d’émotion, de gratitude et d’Amour ! Il était là, nous attendant, Joël et moi, pour nous serrer contre son coeur aimant… Un geste d’amour tellement simple, et tellement surprenant tout à la fois lorsqu’il nous est offert si naturellement par un papa âgé de 91ans  ! Cet instant s’est gravé dans mon coeur et le parfum de l’Amour s’y est déposé.

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