Le cours de la vie

Inlassablement, le cours de la vie se poursuivait! La santé de maman était stabilisée, papa avait débuté son nouveau travail. Mes deux soeurs aînées étaient de jeunes adultes, en apprentissage ou en études; les deux suivantes stagiaires à l’Ecole d’infirmières en attendant de pouvoir commencer leur formation. Mon frère quant à lui, adolescent, cherchait sa place parmi toutes ses soeurs. Je me dis qu’il n’a pas dû être facile tous les jours d’être le seul garçon au milieu de six filles!  Sa dernière année scolaire, c’est en internat qu’il l’a passée. Une nouvelle dynamique prenait place dans notre famille! Restait, ma soeur et moi, pré-adolescentes, terminant notre scolarité sans trop nous soucier de ce mouvement naturel de départ des aînées.
Il a été difficile parfois pour nos parents d’accueillir les expériences de vie de leurs enfants, mais ils ont su s’ouvrir, évoluer avec les époques et garder leur confiance et leur foi en la vie. Ils ont su se laisser porter par le flot, par le cours de la vie! Le mariage de notre soeur aînée à 20 ans et la naissance du premier petit-fils bouleversa d’émotions notre maman! Le cycle générationnel était amorcé! Les voilà devenus grands-parents! Attendrie qu’elle était maman, par les nourrissons, elle entra dans cette nouvelle étape de sa vie tout naturellement!
Elle aurait aimé que ses filles attendent un peu plus avant de devenir, à leurs tours, mères… mais la vie n’attend pas! Quand la troisième de nos soeurs, annonça sa grossesse, ce fut tout d’abord un drame pour nos parents. Elle n’avait pas terminé sa formation d’infirmière, que ferait-elle sans diplôme, dans la vie? Eux qui avaient tant voulu donner à chacune une chance d’apprendre un métier! voilà qu’elle ne le terminait pas! Ce fut un affront… mais quand l’enfant naquit, il eut raison des craintes de nos parents. Ils l’accueillirent bras grands ouverts! Simplement, avec humilité, ils lâchèrent prise et une fois encore, célébrèrent avec confiance les surprises de la vie! Quoi de plus beau que de voir naître un enfant? Ils en savaient quelque chose! C’était un don du Ciel, à recevoir comme tel… Ils pouvaient s’en remettre à la volonté divine!
Que de fois, avec chacun de leurs enfants, ont-ils été confrontés à des épreuves, à des tests de dépassement de leurs limites. Ils se sont soumis à chacune, cherchant la croissance de leur foi au travers d’elles. Ils ont réussis tous les tests! Ils nous ont démontré la puissance de leur foi et la grandeur de leur amour pour nous, quelles que soient les difficultés rencontrées! Ils ont marché avec le courant, sachant par expérience qu’ils arriveraient au but fixé par Dieu! Ils nous ont montré leurs limites d’êtres humains, tout comme ils nous ont appris la manière de les dépasser… simplement… avec confiance… dans la Foi! Ils nous ont appris à nous laisser porter par le cours de la vie, en toute confiance, en toutes circonstances!

Haut de page

Un modèle de couple

Les années passaient vite, nous grandissions chacun à notre rythme.Nos parents étaient vraiment un modèle de couple unique! Nous ne les avons jamais vu ni entendu se disputer, hausser la voix entre eux, ni contredire les décisions prises par l’autre!
Quand aujourd’hui, je regarde dans mes souvenirs, je les vois comme deux êtres totalement au service l’un de l’autre, sans contrainte, sans calcul, simplement empreints d’un amour vrai pour l’autre!
Papa, je le vois comme un sapin des Franches-Montagnes: digne, présent, résistant aux rudesses du climat, les racines étendues pour assurer une stabilité et une bonne flexibilité. Simple, au tronc laissant ruisseler l’eau en cascades, sans en être submergé; les branches largement ouvertes pour permettre au bétail de s’y abriter ou d’y accueillir un promeneur fatigué; ses fruits… simples aussi… sentant la résine et parfumant la maison… permettant d’allumer le feu sans papier, en toute simplicité, offrant son bois au coeur tendre pour réchauffer les siens…
Maman, elle, je la vois comme la terre: généreuse, donnant tout ce qu’elle possède, nourrissant sans rien attendre en retour, modeste et rassurante! Accueillante, aimante et patiente avec de temps en temps un tremblement qui gronde… non pas pour effrayer, non, juste pour avertir que le respect est primordial! Je la vois comme la terre qui porte tout, supporte tout par amour. Je les vois, sapin bien ancré sur la terre, se nourrissant mutuellement, l’un étant au service de l’autre, l’un permettant, honorant la vie de l’autre. Je ne peux m’empêcher de penser à eux lors de mes promenades en forêt. Tout me rappelle leur belle complicité, leur dévouement à l’autre, leur abnégation pour l’autre. L’Amour de l’autre pour ce qu’il est! L’Amour pour l’autre justement parce qu’il est! Les mots de Rûmî: « Il n’y a pas de place ici pour deux « moi » ont pris tout leur sens. Ils vivaient pour l’autre, au service de l’autre. Ils ne formaient qu’UN!
Autant dire que le modèle de couple qu’ils ont été pour nous ne nous a pas laissés insensibles!

Haut de page

La patience de papa

Je crois que c’est en 1965 que papa a changé de fonction au sein de l’entreprise dans laquelle il travaillait. Il devint chauffeur de bus sur une ligne attitrée. Il avait désormais des horaires fixes, avait du temps le matin pour revenir à la maison et un moment l’après-midi. Ces temps libres lui permettaient de jardiner, de pêcher, de bricoler.
La pêche était devenue une passion même si ce fût d’abord une nécessité. Alors qu’il était encore à faire des extras les week-ends comme chauffeur de bus, il avait utilisé le temps libre pour apprendre à pêcher. Cela faisait un apport bienvenu de nourriture pour notre grande famille. Il a mis dix ans a devenir un pêcheur averti! Il fabriquait ses mouches avec une minutie incroyable! C’était à s’y méprendre! Il y avait les mouches pour les temps d’orages, pour les journées très ensoleillées, pour le petit matin ou celles de début de crépuscule. Il avait ses boîtes d’asticots sur un rebord de fenêtre et en tant qu’enfants nous étions intrigués par ces boîtes. J’aimais, quand il nettoyait les poissons, être en sa compagnie. Je trouvais les ombres tellement belles avec leurs reflets verts sur les écailles, et les truites avec tous ces arcs-en-ciel sur le dos. J’étais fascinée par la beauté des poissons. Je trouvais bien dommage de les dépouiller de leurs si belles parures! Papa, avec patience, me faisait comprendre que pour pouvoir les manger, il n’y avait pas d’autre choix que de leur enlever les écailles! c’était comme pour les poulets, auxquels on devait retirer les plumes ou comme aux lapins à qui on retirait la peau! Il faut dire que notre papa était un homme « extra-ordinaire »! Oui, il achetait des poussins de quelques jours, les mettait sous lampes infra-rouge quelques jours et les élevait pour que nous ayons au moins de la viande une fois par semaine! Il avait aussi des lapins… qu’il nourrissait avec amour… et apprêtait aussi avec amour. Il avait une recette de lapin lardé…. qui fait encore parler d’elle aujourd’hui!
La patience de papa était exemplaire! nous ne l’avons jamais vu agité, s’éparpiller en tout sens ou commencer trente-six choses et n’en finir aucune. Il mesurait, évaluait les situations, quelles qu’elles soient. Il agissait avec patience, précision, calme et accomplissait de la sorte une foultitude de choses en bien peu de temps. Il ne gaspillait ni les gestes, ni l’énergie, ni la matière, ni le temps… ni même les mots! Je ne me souviens pas de l’avoir entendu être grossier, jurer ou crier!
Il savait tout faire, il trouvait une solution pour tout. Il rendait service partout où il pouvait! Ce qu’il nous a permis de vivre grâce à sa simplicité, est d’une richesse inouïe! Ce qu’ils ont semé avec maman dans nos coeurs, comme valeurs morales, n’a pas de prix! Il ne gagnait pas une fortune papa, et pourtant nous n’avons manqué de rien! Nous ne sommes jamais partis en vacances en famille, et pourtant nous n’en n’avons pas souffert! Nous avons vécu une vie riche en simplicité, en authenticité, en vérité. Nous avons appris, j’en suis certaine, les fondements de la vie… en famille!

Haut de page