Archives mensuelles : octobre 2013
C’était la mob.
En 1939 mon père est entré à l’école de recrue bien qu’il n’avait pas encore 20 ans révolus! Il y passa son permis de camion, détail qui aura son importance par la suite. Après avoir accompli cette première « étape militaire », l’armée annonça qu’elle engageait des volontaires pour une opération spéciale: chauffeur de chars à Thun! Opportunité attrayante pour mon père! Une centaine de jeunes gens se présentèrent et mon père devint le plus jeune chauffeur de chars de Suisse! Il était fier et se fit un honneur de servir ainsi l’armée. C’était la mob, la vie n’était facile pour personne, mais lui, était content et accomplissait sa nouvelle tâche avec enthousiasme et dévouement. Toutes les étapes de sa vie, il les a vécues avec contentement et gratitude. Il était un homme humble, discret, qui ne parlait pas beaucoup, qui écoutait et respectait ses semblables. Quand il s’engageait pour quelque chose, il s’engageait! Il assumait l’engagement! Quel que soit le prix! Il disait toujours que toute situation est riche d’enseignements! Qu’il y avait toujours quelque chose à apprendre. Il a appris beaucoup durant ce temps de guerre et cette époque en tant que chauffeur de chars: Il y est resté une année et ça lui a laissé un souvenir très fort et très présent. J’aimais l’écouter raconter ce temps et ses expériences.
Il y avait l’armée, certes, avec ses difficultés, ses exigences, ses restrictions et il y avait en parallèle, les retrouvailles avec deux de ses soeurs qui vivaient à Thun. Pendant ses moments de libre, il les visitait, leur apportait des biscuits militaires, partageait sa solde avec elles et était bien content de les côtoyer, ces soeurs qu’il ne connaissait pas finalement! Il les avaient revues seulement après avoir quitté le paysan chez qui il avait vécu jusqu’à 17-18 ans!
C’était la mob, oui, et il y trouvait du bonheur à vivre! Des moments simples qui se sont gravés dans son esprit!
Après avoir accompli son temps à l’armée, il retourna travailler aux champs…. avec les chevaux d’abord, puis il devint le premier chauffeur de tracteur dans la région!!! Ce fut surtout l’époque où il rencontra sa douce, notre maman. Son coeur avait été touché par la flèche de Cupidon! Il était entouré d’une nouvelle famille… La chance était encore au rendez-vous! Puis il fut envoyé par l’Ecole d’agriculture, à Tramelan pour y labourer…. avec un tracteur! Et une nouvelle vie s’ouvrait à lui!
La poussière du monde
Au Buisson Gallant
Après avoir quitté les Franches.Montagnes mon père était donc descendu dans la vallée, à Courtemelon, à l’école d’agriculture. Il y resta quelques temps, jusqu’au jour où un paysan était venu demander s’il y avait un homme de confiance et bon travailleur parmi ces jeunes gens pour s’occuper de sa ferme. Quand il avait été proposé, mon père en avait été tout surpris et heureux! Il n’avait pas fallu longtemps aux dirigeants de Courtemelon pour savoir quel genre d’homme était mon père! Travailleur, honnête, digne de confiance, il savait ce qu’il y avait à faire et l’accomplissait avec plaisir et à la perfection! Il était l’élément sûr pour Monsieur Studer!
C’est donc ainsi qu’il partit en Ajoie, au « Buisson Galland », c’était le nom du domaine de ce paysan. Quand ils arrivèrent, le patron lui demanda de ranger un tas de bois et de venir lui dire quand il en aurait fini de cette tâche, bien conscient qu’il n’en n’aurait pas terminé de si vite. Mon père effectua son travail avec soin et rapidité, et vint, dans l’après.midi, rejoindre son patron lui disant: « Voilà, c’est fini, qu’est-ce que je peux faire maintenant? » L’homme n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles! Il avait terminé d’empiler tout le bois? ça lui paraissait impossible! il partit contrôler le travail effectué par mon père et quand il vit la manière dont il l’avait rangé il sut qu’il pourrait lui confier les rênes de son domaine. Pour sa part il travaillait à Bâle dans une grande entreprise. Il lui confia donc la responsabilité du travail de la ferme. Il serait responsable des écuries et devrait veiller à ce que le travail soit effectué avec soin par tous les « garçons d’écurie ». La chance lui souriait!
Au Buisson Gallant, il trouva une nouvelle vie de famille. La femme du patron était une femme chaleureuse et généreuse. Combien de fois mon père ne l’a-t-il pas aidée dans ses tâches tant il était reconnaissant! Il cherchait les légumes au jardin, débarrassait la table, jouait avec les enfants. C’est même avec lui que la fille aînée de ses patrons avait fait ses premiers pas! Il était aimé de tous!
Mon père avait un lien particulier avec les animaux, les vaches comme les chevaux! Lui seul pouvait passer le licou à une certaine jument. Même le patron ne comprenait pas comment c’était possible! Quel était son secret? Personne d’autre que lui, ne pouvait en faire façon de cette jument! Il lui parlait et ne rencontrait aucune difficulté. Son expérience d’enfant avec le bétail lui a servi toute sa vie.
Le temps passait, le moment du service militaire arriva, il fit son école de recrue, revenant à la ferme durant ses congés. Puis il quitta cette famille, retourna à Courtemelon pour effectuer les labours.
Ce qu’il a vécut au Buisson Gallant, la simplicité de la confiance témoignée, l’amitié qui s’est tissée entre eux, la générosité rencontrée et partagée, tout cela l’a accompagné toute sa vie, jusqu’à sa mort!
Ils s’appréciaient mutuellement et quand il épousa notre maman, elle leur fut présentée et elle aussi, y fut accueillie comme une amie! Mes parents ont pu compter sur cette famille durant les passages difficiles de santé de ma mère. La simplicité de leur relation en a fait une force! Après le décès de Monsieur Studer, mes parents continuèrent d’entretenir les liens d’amitiés avec Madame. Chaque année, mon père allait lui souhaiter un joyeux anniversaire!!! Elle mourut quelques mois avant mon père.
Il était reconnaissant de la chance qui lui avait été offerte!
La rencontre de mes parents
J’aimais entendre le récit du jour de la rencontre de mes parents! C’était le temps des labours; avec le « plan Wahlen » durant la guerre, tout le monde devait cultiver un lopin de terre. Mon père était donc à Courtemelon, à l’école d’agriculture, pour aider aux labours. Ma mère était « en visite » à la maison et dans l’après-midi elle était partie avec sa mère pour apporter un « quatre heure » au jeune homme qui labourait leur champs! Quand elles arrivèrent, elles le virent tout en haut du champs, il menait sa charrue avec aisance et assurance et accomplissait un travail remarquable! Elles restèrent quelques minutes à observer cet homme travailler puis elles ont appelé: « Roby! » persuadées que c’était lui, Roby, qui labourait. Mais en fait c’était son frère…. Gérard! Voyant qu’il ne répondait pas à leur appel, elles se mirent à lui faire de grands signes pour qu’il les voient… et vienne. Quand il les aperçut, il finit ce qu’il était en train de faire avant de les rejoindre, tenant le cheval au licou avec une assurance et une fermeté telles qu’il paraissait presque ne faire qu’un avec l’animal! à tel point que ma mère s’était dit en elle-même: « C’est un homme qui saurait tenir les choses et mener sa vie! Une femme se sentirait forcément en sécurité avec lui ».
Lorsqu’il s’approcha, ma grand-mère vit que ça n’était pas Roby et se trouva confuse de ses familiarités avec lui, alors qu’elle ne l’avait encore jamais vu! Elles bredouillèrent des excuses et firent sa connaissance. Cette jolie jeune femme ne laissa pas ce jeune homme indifférent!
« Il a fallu que mon frère aille labourer ailleurs et c’est moi qui le remplace ici » leur dit-il.
Ce fut leur première rencontre et à partir de là, l’amour n’a cessé de battre dans leur poitrine ! Leurs fiançailles durèrent plusieurs années. Pendant ce temps ma mère était restée en Suisse allemande, à travailler et ne revenant que de temps en temps pour voir son amoureux. Ils s’écrivaient et patientèrent…. Ma grand-mère aimait ce jeune homme et l’avait accueilli en toute simplicité, comme un membre de la famille. Il y était le bienvenu même durant l’absence de ma mère. Avec eux, il riait, il respirait la simplicité de la vie et la chaleur d’une famille unie. Il était comblé et n’en revenait pas d’avoir tant de chance! Il était tout surpris d’avoir été l’élu du coeur de cette jeune femme si douce et si belle!
A chaque fois que mes parents me racontaient leur rencontre, mon père disait : « C’est quand même formidable la vie, dire que j’étais venu remplacer mon frère! Quelle chance! » et ma mère d’ajouter: « Oh! si tu avais vu la manière dont il tenait ce cheval! »
Cette lueur d’amour dans leurs yeux, elle a brillé jusqu’à la fin de leur vie, sans se ternir! Ils furent un bel exemple sur toute la ligne!
Sa vie chez les paysans
Quand à l’âge de 8 ans, mon père est parti de chez ses parents, il ne savait pas ce qui l’attendait ni que sa vie chez les paysans durerait si longtemps! Ce jour-là en fait, a débuté sa vie dans le monde du travail! Il avait pour tâches de s’occuper du bétail, de nettoyer l’écurie, de ramasser le bois et d’aller chercher les bêtes aux pâturages même en pleine nuit par temps d’orage! Il nous avoua que bien souvent il avait eu peur dans ces nuits d’orage, mais qu’il avait un ange gardien! Une vache restait toujours derrière lui, comme pour le protéger! Cette présence le rassurait et lui donnait confiance. Il aimait « ses » bêtes. Il leur parlait, il leur confiait ses chagrins, ses peines et elles semblaient le comprendre! Pour aller à l’école, il devait marcher à travers champs presque une heure. Personne ne se disait que c’était peut-être difficile pour ses petites jambes d’enfant. Eté comme hiver il portait pour toutes chaussures…. ses sabots en bois! Par les grands froids de l’hiver, il mettait du papier journal pour les isoler un peu! Combien de fois n’a-t-il pas eu les pieds presque gelés et en sang, pincés par ses sabots craquelés par la rudesse du climat ? Il n’aimait pas aller à l’école, il s’y ennuyait! il préférait finalement travailler espérant terminer la journée après la traite des vaches! Ca n’était pas vraiment ainsi que les choses se passaient! S’il était là, alors il devait fournir plus de travail! Il lui arrivait parfois de faire l’école buissonnière, disant à son maître d’école qu’il devait travailler… S’il recevait un mot pour son hébergeur, (je ne sais pas comment l’appeler autrement), il oubliait simplement de le lui remettre! Et quand il y avait vraiment beaucoup de travail au champs, alors il disait « à la maison » qu’il avait congé! Il est devenu très vite autonome et adulte! Sa vie d’enfant s’est arrêtée à 8 ans!
Les années passèrent, il apprit à répondre aux exigences demandées avec exactitude, soin, dévouement et respect quelles que soient les demandes et les tâches à accomplir. Il était efficace, rapide et précis. Il a très vite compris qu’il valait mieux aller avec le courant que de le contrer! Il ne se rebellait jamais! Il a appris là-bas et compris, aussi jeune qu’il était, que tout allait mieux pour lui, s’il trouvait de la satisfaction et du plaisir dans l’accomplissement de ses tâches, même les plus ingrates et les plus difficiles.
Peut-être avait-il été prévu par ses parents qu’il resterait là-bas jusqu’à ses 16 ans, je ne le sais pas exactement, mais quand il atteint cet âge, son « patron » lui dit : « tu me dois deux ans de travail sans salaire, pour la nourriture que je t’ai donnée jusqu’à aujourd’hui » ! Mon père en était resté sans mots et a honoré ce contrat jusqu’au dernier jour! A la fin du délai il a quitté ce lieu avec pour seule fortune et bagage une somme de CHF 3.60 ! Il avait réussi à faire des économies des quelques sous reçus ça et là… et avait dû les donner en guise de bouclement des comptes! Il n’avait plus rien…. mais il était content! Il avait TOUT! Une santé de fer, une détermination, un savoir-faire et une motivation hors pair. Il était confiant bien que ne sachant pas ce qu’il ferait, ni où il irait! Il a quitté les Franches-Montagnes et est parti dans la vallée, à Courtemelon. Il est entré à l’école d’agriculture et la chance lui a sourit. Un beau jour, alors qu’il était là depuis environs un an, un homme est venu voir si il n’y aurait pas quelqu’un pour travailler à sa ferme. Mon père lui a été proposé et ce fut le début d’une nouvelle étape dans sa vie.